L’oubli

J’ai oublié. Oublié d’acheter ce truc. Oublié de te dire ça. Oublié de respirer aussi. Parfois. Souvent. On ne s’en rend même plus compte. Le nombre de fois où l’on retient son souffle dans une journée est effarant.

On a l’oubli facile. Oups, j’ai oublié. Par mégarde, par négligence. Par fatigue aussi. Trop de choses nous encombrent l’esprit et on oublie. Même ce qui a de l’importance. On est tout simplement débordé. Quelque chose devait sortir. La soupape et le hasard ont fait le travail. Plus ou moins bien. On n’oublie pas toujours ce que l’on voudrait.

Alors pas la peine de se flageller. Ça arrive à tout le monde d’oublier. Même aux meilleurs. Même à ceux à qui ça n’arrive pourtant jamais. On a le droit d’oublier.

On peut aussi décider d’oublier. Pour passer à autre chose. De laisser couler pour se libérer. Par facilité ou par désespoir. Pour les deux raisons à la fois. Mais une fois qu’on l’a décidé, c’est fait. Revenir en arrière n’est alors vraiment pas une bonne idée. On a le droit d’oublier.

On peut aussi chercher la raison pour laquelle on a oublié. S’il y en a une. Car c’est trop dur. Car cela ne nous intéresse pas. Car cela nous fait peur. On a le droit d’oublier.

Reste qu’on a l’oubli facile. Parfois, trop facile. Oups, j’ai oublié. Par amnésie volontaire, par aveuglement. On décide d’oublier en conscience, plus ou moins, mais le résultat est le même : on oublie comme on refuse de ne pas voir ce qui se trame à notre porte. On ferme les yeux. On se bouche le nez et les oreilles. On cherche à oublier. Et ça pue toujours. Et ça hurle toujours. Et ça brûle toujours. Et on refuse de regarder la réalité en face. Cet oubli est plus difficile à pardonner car on abdique notre capacité à réfléchir et penser par nous-même. On oublie de regarder plus loin que le bout de sa lorgnette. Par paresse, par dépit, par dégoût. Pour se protéger. Mais, on refuse alors de prendre ses responsabilités vis-à-vis de soi, des autres, de son environnement. En oubliant de la sorte, on n’apprend pas de ses erreurs. Pire, on les commet encore et encore comme un hamster dans sa roue.

A force d’oublier, d’oublis en oublis, on en vient à l’oubli de soi. On oublie de se faire plaisir. Ce n’est pas là un simple oubli passager de rien du tout. C’est une constante qui s’installe à pas de loup pour mieux se faire oublier et rester. A force de renoncements et de petites capitulations, on finit par oublier ce qui a de l’importance pour soi. On oublie ses propres valeurs et ce qui a du sens pour soi. On renonce à exercer son libre-arbitre, son libre-choix et sa libre-pensée.

Cela commence toujours par un simple oubli. On oublie simplement de se faire plaisir, d’écouter la voix de notre cœur, de suivre la voie sur le côté de la grande route toute tracée. On ne se le permet pas. Les oublis s’accumulent et on finit par oublier ce que c’est que de vivre dans sa plénitude, en pleine possession de tous ses moyens.

N’oublions surtout pas de vivre. Vivre tout simplement. Vivre à notre guise. Vivre à notre rythme. Vivre selon nos aspirations. Vivre ce qu’il y a à vivre pleinement. Et de se faire plaisir.

On a le droit à l’oubli. De demander à ce qu’on nous oublie un peu. Qu’on nous laisse respirer et vivre. Et oublions cette peur bleue de tomber dans l’oubli, d’être oublié sur le côté de la route si l’on suit son propre chemin.

Cloé Przyluski

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