Je serais le jaune. Ce jaune éclatant du printemps qui fleurit dans tous les jardins. Tous azimuts. Dans tous les sens. C’est festival de jaunes. D’abord le forsythia, immanquable, on en voit partout. Je ne m’en lasse pas. Lorsqu’il fleurit, je sais que le printemps est là. La couleur revient. Je le guette. Je l’attends. Je le chéris. Il donne du baume au cœur et de l’énergie au corps. Il annonce la couleur. Il s’épanouit au soleil encore hésitant des premiers jours de beau temps. Il lance les festivités du jaune. A partir de là, les plantes s’en donnent à cœur joie pour le plus grand bonheur des yeux.
Je serais ce jaune primevère. Ce jaune clair acidulé qui parsème l’herbe ici et là. J’aime le côté anarchique de leur sortie. Là où elles veulent, même dans les endroits les plus inattendus. Elles ne se privent pas et nous en mettent plein les mirettes. Je ne peux expliquer ce ravissement qui s’empare de moi lorsqu’apparaissent les primevères dans les petits cours anciennes, à l’allure un peu décatie. Elles semblent égarées les primevères, mais on n’y est pas. Elles savent ce qu’elles font. Elles ramènent la vie. Elles ramènent à la vie, le plus petit carré de verdure. Et ne demandent rien à personne pour changer de couleur. Parfois blanches, parfois roses. Elles créent la surprise et donnent un bouquet fleuri qui ne coûte rien.
Je serais le jaune coucou. Le coucou me transporte instantanément dans les prés fleuris de cette campagne simple et modeste telle que je l’aime et la connais le mieux. A la vue des coucous dans les talus mon cœur chavire. Je suis prête à m’arrêter au bord de la route séance tenante et faire l’acrobate au-dessus d’un fossé pour faire une boule de coucous. La primevère officinale est une espèce protégée, mais je ne peux y résister. Surtout éviter de l’arracher pour qu’elle puisse refleurir l’année d’après, c’est ce que je me dis chaque fois que je suis l’appel du coucou, cet appel de l’enfance jamais bien loin.
Je serais le jaune pissenlit. Question anarchie, il n’est pas mal non plus le pissenlit. Il s’éclate, surtout là où il n’est pas le bienvenu. Il n’est pas très aimé. On lui fait la chasse. Il est pourtant bon en salade paraît-il. Et il fait de la confiture excellente. Moi, c’est son jaune que j’aime. Il est lumineux et il a le chic pour redonner un petit côté sauvage, justement là où on a voulu le chasser. Il s’impose et marque un brin de révolte. Toute enfant que je suis encore, j’aime souffler sur les graines une fois la fleur passée.
Je serais ce jaune giroflée. Cette giroflée qui pousse on ne sait comment. Dans les cailloux, n’importe où pourvu que cela semble impossible. Dans un sol aride, la fleur s’épanouit et surprend au milieu de nulle part. Bien souvent même, au premier coup d’œil, elle échappe à notre vigilance. Elle porte bien son nom de giroflée des murailles. Savoir qu’elle a lutté ainsi pour s’épanouir renforce à mes yeux son élégance un peu biscornue.
Le jaune printanier continue son festival avec la corète du Japon, sorte de pompon jaune sur tige vert clair. Je me demande toujours si j’aime ou je n’aime pas cette plante, mais elle produit un bel effet dans un bouquet. Le jaune tulipe. Le jaune jonquille. Ça fleurit dans tous les coins. La nature se réveille. Elle persiste et signe encore et encore à chaque printemps, malgré les conditions de vie déplorables qu’on lui propose parfois.
Je serais donc résolument ce jaune foisonnant. Vif. Eclatant. Qui réveille les esprits. Qui pétille. Et rappelle que cela valait le coup de prendre patience. Ce jaune dont il faut profiter car il ne dure qu’un temps. Aussi éphémère que ce petit papillon jaune citron dont j’ai failli oublier de parler pour vanter les charmes de ce jaune printemps qui signe notre renaissance.
A vous ! Si vous étiez une couleur, que seriez-vous ?
Cloé Przyluski