Je sursaute. Des bruits m’inquiètent. Je me retourne en tous sens pour savoir d’où ça vient. Notre perception des sons est parfois curieuse. Le son vient de l’opposé où l’on croyait l’avoir entendu.
La nature est censée relaxer, mais, va savoir pourquoi, avec tous ces bruits dehors, je ne suis pas tranquille. Sur le qui-vive. Ça transpire de tension dans le moindre de mes gestes. Mes os craquent. J’ai le souffle court.
Ce moment de tension extrême, un savant mélange d’appréhension et d’hyper sensibilité à ce qui nous entoure, a quelque chose de surprenant. Le paradoxe de l’intranquillité. Cette vive intranquillité est le signe que quelque chose ne me convient pas. J’aurais tort de ne pas lui accorder d’importance. Pourtant, au milieu de cette agitation, je réalise qu’aussi étrange que cela puisse paraître je suis pleinement dans le moment présent. Attentive, à l’écoute, les sens en éveil.
Même survolté, dans un état latent d’intranquillité, on peut reprendre contact avec son corps et ses sensations. Simplement en prenant conscience de ce qui se joue au moment même où cela se joue. On ressent la tension, en même temps que la reconnexion à ce qui nous entoure et notre perception de l’instant change.
L’intranquillité est un état d’esprit, un mode de vie qui s’impose à nous. On a l’art de ne pas tenir tranquille. Se laisser un tout petit peu aller pour voir ce que cela fait, quelle horreur !
L’intranquille a toujours l’esprit préoccupé. Il cherche ailleurs ce qu’il a déjà sous la main. Il est en quête de quelque chose dont il devine les contours mais qu’il peine à esquisser vraiment. C’est là sur le bout de la langue mais ça ne sort pas.
Intranquille, on est tendu. On arrive plus à penser. On se ronge les ongles.
Intranquille, on cherche la petite faille en soi. On cherche ce qui ne va pas. On se dépouille du peu d’estime de soi qu’il nous restait.
Intranquille, on a le cul entre deux chaises. Notre cœur balance. On n’arrive pas à se décider. J’y vais, j’y vais pas. Un pas en avant, trois pas en arrière, la valse hésitation nous prend et prend des proportions démesurées.
Nous sentons le décalage entre nos aspirations et la réalité que nous vivons, sans arriver à agir dessus. C’est là que niche l’intranquillité. Comme la solitude de Barbara, elle nous suit pas-à-pas et se suspend à notre cou. Une plaie pour qui veut se sentir en paix.
On peut faire de l’intranquillité, si chère à Pessoa, une alliée de choix et s’en servir comme d’une force pour aller plus loin. Intranquille, on va chercher la petite bête, développer notre attention. On va chercher à expliquer les choses, on va accorder de l’importance aux petits riens, on va s’ouvrir à ce qui nous entoure et cela peut nourrir notre créativité. On peut jouer avec, être en accord avec son intranquillité et gagner en tranquillité d’esprit.
On peut aussi reconnaître que l’on manque de tranquillité. Oser dire « laisse-moi tranquille ! » comme l’enfant qui veut préserver son intimité. On peut aimer la tranquillité et la tranquillité d’esprit qu’elle procure. C’est si bon de faire tranquillement les choses, à son rythme, sans se presser. Ou de simplement s’asseoir sur un banc et être là à prendre le temps de vivre, d’écouter nos aspirations, de rêvasser. On ne s’accorde pas assez ce temps calme, libre et dépourvu de choses à faire. Ce temps nécessaire pour faire le vide, faire abstraction des contraintes, se libérer de nos automatismes et laisser une chance à sa part créative d’émerger et de s’exprimer. Rien que ça. La tranquillité comme terreau fertile pour la création.
Occuper tranquillement son esprit à jouer, à expérimenter, à créer plutôt qu’à chercher la petite faille à combler. Créer procure justement cette même tranquillité dont on a besoin pour créer.
La tranquillité se trouve. Elle se crée. N’importe où. Question d’entraînement de l’esprit.
Commençons par un jeu de décrassage pour apaiser le flux ininterrompu de nos pensées. Prendre le temps de s’allonger dans l’herbe, de respirer, de regarder le ciel, de sentir les sensations dans notre corps, de sentir la tranquillité nous gagner petit à petit. Peut-être s’assoupir. Peut-être sentir un regain d’énergie. Peut-être avoir des idées ou des envies nouvelles. Peut-être rien. Vous verrez bien.
Cloé Przyluski