Comme le dit la petite chanson de Mamie « joli mois de mai quand reviendras-tu m’apporter des feuilles pour torcher mon c… ». Manière plus ou moins poétique, mais follement drôle à chantonner pour une enfant de huit ans, de dire que les feuilles sont enfin revenues aux arbres et que la nature nous offre alors tout ce dont elle est capable sans retenue, avec démesure et générosité. Et que l’on peut enfin profiter sans vergogne du dehors.
Chaque année, on l’attend ce mois de mai, car « en avril ne te découvre pas d’un fil, en mai fais ce qu’il te plaît ». Et le dehors nous appelle bien sûr, on y coupe pas, on y succombe. Rien qu’à voir les terrasses des café, les bancs dans les squares, le monde qui court au parc, c’est comme si tout le monde attendait le signal pour sortir enfin prendre l’air.
En mai, il y a un avant-goût de vacances d’été. Les jours rallongent, on travaille moins grâce aux jours fériés et on s’offre les premiers pique-nique de l’année voire les premières baignades.
Parfois, il fait chaud en mai, très chaud. Et on plonge dans l’été d’un seul coup. Parfois non. C’est la loterie de la météo.
En mai, l’énergie bat son plein et les projets s’activent, voire se concrétisent. D’un côté, on ressent cet appel à flâner, à profiter de prendre le temps. De l’autre, on prévoit pleins de choses et la coupe est si pleine que pour faire une pause on repassera l’année prochaine. C’est plus fort que nous cette envie de bouger, d’être dans le mouvement, normal on s’ébroue enfin.
Le mois de mai finit toujours par être chargé. Si chargé que l’on en oublie ce qui est important pour soi. Que l’on dépasse ses limites et que l’on se dit que l’on ne nous y reprendra pas. Et pourtant, les années passent et se ressemblent. Le mois de mai est rarement de tout repos.
Il y a toujours tant à faire, tant à voir, tant de lieux à visiter, on voudrait tout embrasser à la fois, tout saisir, tout faire. On devient boulimique. Sans avoir jamais de cesse. On veut bouffer le monde pour avoir l’impression de le posséder un peu, pour échapper à la course folle du temps qui passe, pour se sentir vivant, au risque de passer à côté de l’essentiel. A côté de ceux qu’on aime, à côté de la petite fleur dont la couleur est totalement insensée, à côté des petits moments de rien de l’existence, de ces petits détails dont on se souviendra encore avec précision dans les années à venir alors qu’un paysage grandiose à couper le souffle sera passé à l’as. On se souviendra plus d’un pique-nique qui a fini en courant sous la pluie que de ce repas pris sur le pouce dans une brasserie guindée et même pas bonne.
Pour vous dire que ce qui reste ce sont nos sensations et nos ressentis. Et pas qu’en mai. Et peu importe où l’on se trouve et ce que l’on fait. Nos ressentis si l’on y prend pas garde au quotidien, on y fera pas plus attention en voyage. Ce qui change la substance de la vie, ce sont nos expériences sensorielles et personnelles. On aura beau courir en tous sens, le temps ne s’arrêtera pas pour autant.
Surtout que mai est carrément propice aux expériences sensorielles de tout poil, avec les odeurs des fleurs, de l’herbe fraîchement coupée, les couleurs aux vêtements, les dégradés de vert des feuilles des arbres, les chants des oiseaux qui se superposent, les soirées qui rallongent et la petite fraîcheur qui tombe, les pieds que l’on dénude, la chaleur du soleil sur la peau, le plaisir de se mettre à l’ombre quand la chaleur commence à être forte, les premiers bains de pied, la soirée au jardin, le verre qui se prolonge en terrasse, la balade à vélo plus longue que prévue, celle en forêt où l’on perd la notion du temps, les fruits et légumes nouveaux que l’on redécouvre chaque année dans la cuisine, la sieste inopinée au pied d’un arbre. La liste n’a pas de fin.
Sauf que mai est déjà fini. On ne l’a pas vu passé. Il a été riche en évènements. C’est peu de le dire. Et en sensations ? Que reste-t-il de ce joli mois de mai ?
Cloé Przyluski